Le Roi brandit son épée.
L'acier noir de la lame s'imprégna des reflets de la lave furieusement projetée dans les airs par le volcan réveillé. Sombre comme l'abîme des ténèbres, l'épée sembla absorber aussi bien les faibles lueurs émises par les étoiles que l’étincelante émanation cristalline de l'armure du vaincu. Des nervures écarlates apparurent dans la lame et se répandirent en elle telle une larme d'encre immergée dans l'eau. L'obscurité avait investi le ciel et la terre, seul le halo enrobant l'épée brillait dans le firmament éteint.
Les détonations du volcan redoublèrent de violence et la nuée étouffante qui se déversait de la gueule du gouffre enveloppa les deux hommes dans un linceul ardent. Dressé à genoux devant le Roi, la main tranchée, le rebelle n'avait plus la force de combattre ; son sang ruisselait sur son armure autrefois immaculée et aux éclats irradiants qu'elle diffusait s'étaient partiellement substituées de sanglantes éclaboussures. Sur le visage du condamné se lisaient la souffrance et le désarroi mais le sentiment qui le dominait était cette haine qu'il nourrissait encore et toujours, cette haine qui l'accompagnera au-delà de la mort.
L'annihilation de la rébellion était désormais acquise, cependant, l'imminence de la victoire semblait surréaliste tant la guerre et les affrontements perduraient depuis des années. À moitié recouverts par les coulées de lave qui affluaient dangereusement vers nous, les squelettes aux ossements jaunis par le temps lorgnaient de leurs orbites mortes le dénouement tant attendu. Une aura mystique émanait de leur carcasse qui se consumait et l'union dissonante de leurs afflictions paraissait incanter le déferlement enflammé du fléau tellurique. À travers ce paysage périlleux et hostile à l'humanité, le vaincu fixait le Roi et lui proféra ses derniers mots. La distance m'empêcha de saisir le sens de ses ultimes paroles, néanmoins, je perçus une anxiété fugace investir le visage du Roi.
Le volcan rugit, l'épée fendit l'air et l'armure rutilante s'abattit sur le sol dans une giclée de sang vermeil. L'Insurrection était anéantie. Le Roi ramassa par les cheveux la tête du défunt, arracha ses yeux bleus avant de la jeter dans le précipice ardent. La lave roula sur le reste du cadavre qui brûla sous le regard enivré du Roi. Les rebelles furent tous exécutés et précipités dans la fosse volcanique exaltée.
Durant trois jours le Roi resta seul, le regard rivé sur les roulements de la roche en fusion, l'esprit perdu dans la contemplation de l'abîme de feu, impassible. Le sang issu de ses multiples plaies avait séché sur son armure obscure, tandis que les rubis noirs incrustés scintillaient au rythme des déflagrations enragées et que l'ample étoffe noire qui la recouvrait partiellement s'agitait frénétiquement sous l'assaut du vent déchainé. Telle une vieille lésion qui s'ouvre et saigne de nouveau, ce soudain réveil terrestre lui était atrocement douloureux et puisait sa raison dans le Mal qui l'avait investi.
Le peuple soutenait en silence que cette catastrophe volcanique n'était que le fruit maudit des innombrables sacrifices qu'il avait perpétrés, que la Terre n'avait pas oublié le Ravage et se vengeait en déversant sa haine sur le Royaume. Pourtant, la réelle question n'est pas de savoir si les sacrifiés étaient innocents, mais s'ils méritaient la vie. La réelle question n'est pas de savoir si la Terre avait jugé le Roi coupable, mais pourquoi il prétend lui-même être en proie à une souffrance éternelle liée à des pensées inconscientes. Des pensées qui l'auraient poussé à accomplir ces jugements sanglants.
Quoiqu'elle puisse être, cette souffrance le ronge et le consume intérieurement, telle une flamme n'emportant que trop facilement la chair humaine. Et, en le voyant méditer dans le cœur même du chaos, je savais que ces interrogations avaient ce Mal pour origine. Un Mal mystérieux que nul ne comprend et pourtant source même de son pouvoir occulte et de sa suprématie inaltérable. Un Mal tout aussi mystique que ce déferlement chaotique de par son irrationalité. Un Mal aussi invraisemblable que cet Être dont il maudit l'existence.
Tout à coup, l'atmosphère stoppa le vent empli de souffre, le volcan cessa de rugir et les nuages de cendre se stoppèrent au dessus de nos têtes, formant un épais manteau torturé par des ténèbres de feu. Dans ce silence glacial, il se retourna. À ce moment-là, sa stature n'était plus celle d'un homme ordinaire. Entourée par les flammes, elle s'avérait réellement royale. Et je sus qu'il disait la vérité.