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Dressing the
Earth Before the Riddance

Estre

Lettre datée du jour 17 du 12ème mois de l'an 782, 2ème Ère


Lire avec une police simple.

Le souffle glacial du vent se délectait du silence qu'il avait instauré, ne laissant que notre propre respiration rythmer notre marche enneigée. Ses crocs de givre ne tardent guère à nous happer les os, puis, dans ce calme presque réconfortant, ils finirent par nous priver de toute sensation.

La marche était lente, longue et continuait inaltérablement malgré le froid, malgré l'obscurité, malgré la mort perceptible. Les flocons virevoltant nous cinglaient le visage, et, telles des lames acérées, nous transperçaient si douloureusement les yeux que même relever la tête pour s'orienter à travers ces avalanches de cendre blanche était insoutenable. En ces décors blafards d'un autre âge, notre vie n'était plus notre préoccupation.

Seule la sécurité de l'enfant nous importait.

Au bout du quarante-cinquième jour, des hommes commencèrent à s'affaisser sous le poids des particules laiteuses. Certains chutèrent dans des crevasses vicieusement camouflées, d'autres préférèrent s'abandonner aux flots blancs et soyeux, le visage nimbé de glace.

En franchissant les ruines à l'architecture insensée de la Vallée Cachée, nous arrivâmes meurtris par une angoisse indicible au Palais Impérial de Glace au quatre-vingt-douzième jour. Plus imposante qu'une montagne incisant les cieux et sculptée dans des glaciers aux reflets écarlates, chacune des cinq tours latérales miroitaient un visage que l'Empire du Septem Triones chérissait. Des visages repoussants, torturés par la haine et plus horribles les uns que les autres. Là, dressé à travers les pics montagneux les plus démesurés, le Palais se drapait, disait-on, des cadavres gelés d'audacieux qui s'aventuraient dans les méandres de ces glaciers éternels.

Puis, comme balayés par le soupir d'une tempête formidable, nous dûmes continuer notre errance misérable.

Le sable ardent remplaça les flocons gelés, l'aridité fit s'évaporer la glace, la chaleur écrasa le froid. Nous avancions dans le cœur même de la fournaise, la gorge nouée par l'asphyxie, les yeux déchirés par les éclats flamboyants du soleil. La chaleur semblait se languir de notre désarroi, elle s'accentuait au fur à mesure de nos pas, rendant chacun d'eux plus désespéré que le précédent.

Les jours s'écoulaient, et les hommes continuaient à périr, recouvrant les dunes interminables de leur dépouille asséchée. L'air enflammé altérait inévitablement notre lucidité et lorsque de sinistres cryptes émergèrent des entrailles du Ruisseau de la Fournaise, certains survivants sombrèrent dans une démence bestiale. Leur âme scarifiée furent délivrée pour fuir promptement ce lieu maléfique.

Terriblement affaiblis nous finîmes par atteindre le Sanctuaire Impérial de Sable après deux-cents-quatorze jours. Dressé à l'aplomb d'une immense dune prête à éventrer le ciel, il enveloppait cette dernière tel un manteau serti de pierres rouges sang. Cinq colossales colonnes en forme d'arcs de cercle surplombaient le Sanctuaire pour le protéger tel un bouclier, tout en exposant à la face du soleil déchainé les cinq visages vénérés par l'Empire de Khâef-Rê. Des visages gracieux et somptueux, mais si mélancoliques que la tristesse terriblement humaine qui en émanait marquera à jamais mon esprit. Cette mélancolie qui puisait sa source, prétendait-on, du désespoir qu'éprouverait les hommes une fois la réelle valeur de leur existence révélée par les Êtres Divins.

Puis, en l'espace d'un clin d’œil, le chant des dunes dissona, entamant une valse qui déferla sur notre égarement. Le sable emplit nos poumons, la virulence des rafales nous emporta.

Et nous dûmes poursuivre.

La flore nous oppressait de par son gigantisme, l'humidité nous dévorait la chair, des espèces faméliques aux écailles torturées nous épiaient dans l'ombre. Les racines semblaient se dissimuler sournoisement sous des herbes affolées pour nous harponner silencieusement pendant que les marécages ingurgitaient avec vivacité les plus infortunés d'entre nous. La violence assourdissante des orages déchirait le ciel, et des pluies diluviennes s'abattaient furieusement sur nous telles mille dagues enragées.

Traqués, les hommes qui subsistaient finirent par se faire dévorer par de perfides reptiles et être déchiquetés par des ronces aux épines assoiffées de sang. Les hurlements déchirants des téméraires ayant entreprit l'exploration des édifices archaïques et répugnants n'avaient même plus rien d'humain. Terrassé par la fièvre, je sentais mes forces m'abandonner à mon tour, mes membres se geler de nouveau, jusqu'au moment où je chutai dans la boue, sans pouvoir me relever. L'enfant me fixa, sa tristesse me fit ressentir un dernier frisson de peur. Je suivis son regard qui se déportait.

Au trois-cents-soixante-dix-huitième jour, la Pyramide Impériale de Roc se dressait devant nous.

Juchée à l'à-pic d'une falaise vertigineuse, la Pyramide était ceinte de lianes épineuses, de racines sarmenteuses, de feuillages broussailleux s'entremêlant pour lui donner un aspect sinistre et délabré. Des arbres désarticulés avaient écroulé à certains endroits les fondations rocailleuses, défigurant avec leurs branches décharnées les visages révérés par l'Empire Xibalba. Une extrême souffrance émanait de ces ruines antiques. Des ruines se nourrissant de la douleur physique et morale éprouvée durant notre vie.

Le temps d'un espoir et des vagues tumultueuses déployèrent leurs ailes exaltées, noyant notre détresse égarée. Impuissant, je sombrai dans des ténèbres bercées par les bruissements du vent et les murmures de l'eau.

Quand mes yeux s'ouvrirent de nouveau, l'océan submergeait l'horizon. Ses flots tranquillisés roulaient délicatement sur la rive que le soleil baignait d'une tendresse oubliée. Je n'aurais su dire combien de jours mon sommeil avait perduré, mais en voyant la mystérieuse Cité Blanche affleurée de ces eaux, je compris instinctivement que l'Empire d'Argade nous avait ouvert ses portes. De modestes temples se mêlaient aux demeures sur lesquelles ruisselaient des cascades argentées. Cousues de pierres blanches, les tours qui semblaient d'une fragilité de verre dominaient fébrilement le reste d'une Cité aux effluves apaisants.

Et, nul part n'apparaissait de visage.

Amenuisé lui aussi, l'enfant contemplait ce lieu éloquent. Ma vision troublée par les affres de la fièvre m'empêchait de déterminer si son rictus était un sourire, mais quoique ce fut, il était sauvé.

Alors, soulagé, je sombrai définitivement.

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