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Ridding Earth
of Light

Estre

Lettre datée du 23ème jour du 5ème mois de l'an 14.


Lire avec une police simple.

Vingt-deux ans ont passé et tout a changé.

L'enfant a grandi, l'enfant est devenu Roi. Sa tristesse est devenue dépression. Sa mélancolie a nourri une frénésie insatiable. Rongé par un pouvoir qui nous a dépassé de par son irrationalité, l'enfant m'est devenu étranger. Ai-je participé malgré moi à son altération ?

J'ai sauvé cet enfant condamné à mort par son propre père -Scyla, alors Empereur de Visynia- et pourtant je n'ai pu le préserver de lui-même. Après tant de souffrances endurées, de sang versé, d'espoirs envolés, comment ai-je pu croire qu'en se réfugiant aux confins du monde, il serait en sécurité ?

La vision de ces visages n'avait cessé de le tourmenter durant notre exil qui nous avait mené jusqu'à l'Empire d'Argade, accroissant la meurtrissure de son âme. Persuadé qu'ils représentaient différentes facettes d'un être occulte unique, créateur et incarnation même de l'existence, il n'avait cessé de s'abimer dans les arcanes de sa pensée pour ne plus jamais réellement s'en échapper. Parvenait-il réellement à entrer en symbiose avec un tel être ? Quand bien même cet être existerait… Le pouvoir de l'enfant Roi, lui, était bien réel.

Capable d'éveiller depuis la noirceur des abysses des créatures oubliées, de faire déferler leur fureur sur la Terre pour unifier sous son ordre les Empires divisés, ce pouvoir lui offrit le règne absolu et sa vengeance tant attendue, tout en le poignardant silencieusement et incessamment. Louangé par certains, damné par d'autres, l'enfant Roi avait recréé la Terre telle qu'il l'avait toujours rêvée en unissant ceux qui étaient divisés depuis des millénaires par des religions perverses et des cultes absurdes. Un rêve qui ne tarda pas à prendre la tournure d'un véritable cauchemar.

Trahi par ses plus fidèles protecteurs – ceux-là même qui l'avaient protégé aux dépens de leur vie durant notre périple – le Roi sombra dans une admiration malsaine pour la chair embrasée le jour où il brûla ces traîtres aux yeux du peuple révulsé. Dès lors, son isolement s'accentua, sa passion s'intensifia, et, à partir de rumeurs troublantes ne tardèrent pas à éclore d'horrifiantes vérités. Et le jour où la Reine disparut mystérieusement, je sus que le pire allait avoir lieu.

Fille de l'Empereur d'Argade, elle seule avait su atténuer sa tristesse incessante et sa mélancolie accablante. Sa disparition le désola, le tortura, sa détresse n'avait plus que sa haine pour extérioriser son désespoir.

La Terre lui procura son exutoire.

Convaincu que le Roi avait dissimulé le meurtre de leur Reine, l'Empire d'Argade jura vengeance, se soulevant contre son autorité, se soulevant contre l'enfant qu'il avait jadis recueilli.

Malgré tous mes conseils, toutes mes supplications, ma raison ne put stopper l'irrémédiable, le sort des rebelles menés par le frère de la Reine, Amyntia, était scellé. Dans un hurlement dément, le Roi fit se déferler plus furieusement que jamais ses quatre créatures de l'ombre sur la Terre, quatorze années après leur première et unique invocation qui lui avait rendu possible l'Unification.

Devenus rouge sang, je vis dans ses yeux le reflet de ses massacres morbides.

Le temps d'un battement de ses prodigieuses ailes de feu, un dragon aux écailles charbonneuses s'envola avec ampleur de la Montagne de Feu pour abattre la sentence sur les glaciers éternels. Son souffle s'abattit sur les sculptures odieuses sur lesquelles ne tardèrent à ruisseler des larmes écarlates. Ses flammes, comme régurgitées par les enfers, réduisirent le Palais de Glace en une gigantesque flaque et les tours enneigées finirent par s'évaporer dans la fournaise, ne laissant plus aucune ombre submerger les montagnes dénudées.

De l'ombre du dragon émergea un cobra reluisant mille éclats immaculés. Attisé par le soleil surexcité, il rampa prestement à travers les sables ardents jusqu'à la dune ensanglantée pour l'envelopper délicatement. Tout en se redressant au dessus des colonnes, sa coiffe incrustée d'améthystes se déploya, son étreinte se resserra, ses crocs venimeux se révélèrent aux sculptures apeurées. En un instant il brisa la roche sous l'assaut de ses morsures frénétiques, répandant son venin dans le Sanctuaire de Sable qui dans l'affolement laissa, au milieu des éclats rocailleux, choir les visages pétrifiés.

Des larmes empoisonnées prit forme un loup à la fourrure ténébreuse qui avivée par de longues flammes noires, le parait d'une élégance menaçante. Telle une ombre invisible il s'enfonça silencieusement dans la jungle perfide pour y rendre le châtiment royal, et telle la foudre, il dévasta, déchiqueta, dévora toute espèce vivante, ne laissant dans son sillage qu'une traînée rouge écarlate. Parvenu au sommet de la falaise, les babines ruisselantes du sang de son carnage, il plongea ses yeux bleus dans ceux des visages si défigurés par les affres du temps qu'ils semblaient l'implorer d'une miséricorde illusoire. Les épines des ronces ne purent les protéger pas plus qu'elles ne purent empêcher la Pyramide de Roc de sombrer dans l'obscurité de sa crinière noire enflammée.

Puis tout à coup, les pierres blanches réapparurent, le roulement des cascades déploya dans le firmament ses fragments argentés, l'océan retentit à l'appel. Les vagues devinrent agitées, les nuages voilèrent le soleil comme pour le préserver de la violence des vents, la Terre toute entière émit une plainte lugubre. Une plaie s'entrouvrit dans les profondeurs maritimes, des tentacules enveloppèrent de toute part la Cité Blanche et le temps s'arrêta. Les temples explosèrent, les tours de verre éclatèrent, le vortex abyssal avala dans un chaos de cris, de pleurs et de souffrance la Cité toute entière. Les tentacules se refermèrent et, en un instant, l'océan les imita, ne laissant plus que la mort et la désolation emplir ce lieu qui avait autrefois recueilli les rires de l'enfant Roi. Tout avait disparu si rapidement que rien ne me semblait avoir jamais existé.

Le chaos se rependit sur Terre comme la putréfaction sur la chair morte. Le feu, le venin, la rage se déversèrent sur la Terre, transformant celle-ci en un véritable brasier céleste dont les cendres tapissèrent ciel et mer, chassant la lumière à jamais.

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