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Evil Conjuration

Dalios

Lettre datée du 12 ème jour du 10 ème mois, an 19 de la 3 ème Ère

L'épreuve du feu l'avait si affaibli que le Roi n'avait délaissé son repos depuis son retour.


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Les fleurs asséchées ornaient telle une couronne fébrile l'imposante porte de marbre noir. Les flammes des torches fichées dans les pierres encre contorsionnaient leur ombre morte, prolongeant malicieusement leur supplice funèbre. Du bleu si profond qu'il en émanait autrefois ne subsistait désormais plus que des pétales flétris et ternis par les relents de la mort.

Et la porte demeurait close.

L'épreuve du feu l'avait si affaibli que le Roi n'avait délaissé son repos depuis son retour ; plongé dans ses rêves, ceux-ci s'avéraient désormais être les seuls remèdes à son mal. De l'intérieur parvenaient tantôt des gémissements, tantôt des cris mêlés à des battements sourds. Mais entrer était la dernière folie à envisager. Si une femme avait pu, par un miracle des plus surprenants, réchapper du jugement royal qui avait suivi sa profanation le visage à demi-emporté par le feu, les autres sacrilèges n'avaient pas connu une telle chance. La souffrance et l'atrocité semblaient investir ces lieux et personne ne devait les contempler.

Personne excepté notre Roi. Et ce jour-là ne devait pas être l'exception.

Les disparitions avaient repris durant notre absence à la Montagne de Feu; le commandant de la garde royale était à son tour porté disparu, d'obscurs augures étaient présagés. Ceux-ci avaient encore amplifié lorsqu'un inaudible craquement avait surgi des entrailles de le Terre pour ne laisser qu'une lueur semblable à une giclée de sang scarifier le ciel. Lysandrian avait dû partir précipitamment à la tête de la flotte royale pour le Royaume des Cendres afin de découvrir l'origine de ce phénomène énigmatique. Le Roi devait être prévenu immédiatement mais cette porte sur laquelle les ombres dansaient toujours plus amplement devait s'ouvrir depuis l'intérieur et, en attendant, le crépitement des flammes agitées ne pouvaient que me remémorer ce jour où la Reine se tenait là pour la dernière fois.

À cette époque les fleurs brillaient tels les feux bleus du firmament, tels ses yeux bleus enivrants. De la violente dispute, je n'en garde plus précisément le souvenir ; la nouvelle évocation par le Roi de ses fils l'avait déclenchée, des mots et des pleurs avaient ébranlé les murs. L'obstination du Roi pour ses fils a été, probablement, l'origine de la disparition qui succéda à cette discorde. Un malaise avait été perceptible ce soir là. Un malaise semblable m'envahit de nouveau lorsque des hurlements stridents fendirent avec fracas les voûtes de la Forteresse. Les flammes semblaient elles-même entrer en transe, torturant les ombres chétives qui m'entouraient. L'état du Roi s'aggravait de jour en jour, nul ne l'ignorait. Cette présence ne cessait de le hanter en répandant en son âme son poison, en lui infligeant une souffrance perpétuelle si atroce que les condamnés devraient se réjouir de la douceur de leur incinération. La nouvelle de ces disparations inexplicables qui se succédaient les unes aux autres allait incontestablement accentuer son angoisse.

Notre Roi avait tout d'abord accusé les Empereurs. Captifs depuis le Ravage de la Terre cinq ans plus tôt, il semblait pourtant improbable qu'ils en eussent été capables. Enchaînés pour qu'ils ne puissent mettre prématurément un terme à leur vie tout en étant suffisamment nourris pour faire perdurer leur calvaire, ils étaient laissés pourrissant dans des geôles humides, insalubres, abandonnées aux ténèbres glaciales. Ces conditions de vie abominables altérèrent promptement et irréversiblement leur psychisme.

Enfant, le Roi avait dû fuir pour échapper à sa mise à mort ordonnée par Scyla, l'Empereur de Visynia. Exilé, l'enfant avait dû implorer les Empereurs Knut Sigurd du Septem Triones, Amenhotep XX de Khâef-Rê puis Hun Ahpu de Xibalba de l’accueillir, en vain. Devenu Roi, il n'avait pas oublié ces refus et ces humiliations, son amertume avait néanmoins cédé à la raison; honteusement déifiés par leurs sujets, ces quatre empereurs possédaient l'influence nécessaire pour éradiquer les religions que leurs ancêtres avaient sournoisement instaurées au fil des siècles. Le jour de l'Unification, il y a maintenant dix-neuf ans, ils vouèrent donc allégeance et fidélité au Roi, renonçant ainsi à leurs pouvoirs pour préserver leur misérable existence. Argaios, co-Empereur d'Argade, avait ensuite su calmer les ardeurs du peuple lorsque, huit ans plus tard, les rumeurs de la disparition de la Reine - sa propre fille - commençaient à s'ébruiter ; toutefois, sa mort engendra l'inévitable. La rébellion suscitée par les Empereurs les précipita néanmoins vers leur perte.

Étrangement, notre Roi avait semblé perturbé et surpris d'apprendre la captivité des Empereurs déchus. Il ne tarda cependant pas à ordonner leur exécution. Lorsqu'ils furent pendus ce n'étaient plus des hommes. Plus morts que vivants, ils ne durent même pas sentir leur âme fuir ce monde, laissant leurs corps décomposés aux rapaces assoiffés par leur sang corrompu. À ce moment-là, leur dette fut payée.

Mais les disparitions avaient continué.

Une partie de l'armée royale fut alors envoyée à la recherche des disparus en dehors de l'Empire de Visynia. Ces hommes furent envoyés au devant de leur mort. Calcinées lors du Ravage, les terres des autres continents n'étaient plus que cendres; rien n'avait repoussé, rien ne repoussera jamais et même respirer était devenu insoutenable. Survivre dans cette désolation était impossible. Et les hommes envoyés ne revinrent jamais.

Tout à coup, des râles d'agonie brisèrent ma torpeur. Les pétales portés par les ombres mouvantes s'embrasèrent dans un tourbillon de feu. De sang étaient devenues les fleurs, d'horreur étaient les ombres. Avivés par le brasier funeste, des monstres sans reflet se précipitèrent sur la porte comme pour l'éventrer. L'espace d'un instant tout avait disparu, ne laissant que d'ignobles hurlements déchirer l'obscurité.

Alors, je poussai l'imposante porte de marbre noir.

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